Ce qui parait être encore n’est plus, ce qui doit advenir est déjà là.

Notre relation au monde est en cours de transformation. Je ne parle pas de ces fluctuations superficielles qui agitent continuellement les sociétés humaines, mais des grandes métamorphoses qui accompagnent l’émergence d’une nouvelle conscience. Sur le plan évolutif c’est un véritable saut quantique, impossible à réaliser sans un éveil préalable, un consentement à devenir, mais aussi la présence éclairée des autres règnes. A l’évidence les animaux sont prêts, disposés à poursuivre l’accompagnement initié voici des millénaires, à condition toutefois que nous cessions d’agir en prédateurs stupides.

Alliances

Les premières domestications ont commencé il y a environ douze mille ans, avec l’alliance entre l’humain et le loup, ancêtre de tous les chiens actuels. Puis ce fut le tour d’autres espèces, les herbivores ruminants à l’origine des sociétés pastorales, et beaucoup plus récemment, il y a cinq ou six mille ans, la domestication du cheval qui a favorisé l’avènement de sociétés patriarcales guerrières et la diffusion très rapide du conquérant humain sur l’ensemble de la planète.

En tout, une trentaine d’espèces animales sur des millions ont consenti à cet accompagnement de notre espèce engagée dans une évolution dont les implications vont bien au-delà du hasard biologique. Sans le soutien de ces espèces élues, l’humain aurait très certainement végété, ou même disparu de la surface de la Terre. Sans la pérennité de ce soutien, prodigué sous de nouvelles formes absolument inédites, l’humain pourrait bien disparaître très rapidement dans les décombres de sa folie.

Domestiquer n’est pas un acte cannibalique et esclavagiste, une prise de pouvoir brutale d’une espèce supérieure sur une autre jugée inférieure. Domestiquer est un processus continu de co-évolution des espèces, au cours duquel des alliances sont scellées, réévaluées, renouvelées ou modifiées en fonction des besoins biologiques, psychiques et spirituels des individus en présence. Ce processus très mystérieux participe entièrement à ce que nous nommons le sacré.

De la prédation à la symbiose

J’évoquerai plus particulièrement ici notre relation à l’espèce équine, en y incluant les hybrides comme les mules et mulets, ainsi que les ânes.

Actuellement cette relation se modifie à un rythme très rapide. Le cheval de guerre et le cheval de travail ont progressivement fait place au cheval de sport, puis au cheval de « loisir », mais toujours dans un contexte de dominance, de prédation continue de l’animal vif, sans beaucoup de respect pour les besoins propres de l’individu instrumentalisé en tant qu’outil ou monture.

Le cheval semblait ainsi voué à l’équitation, à la performance, avec certaines conséquences désastreuses quant à son équilibre et sa santé. Sédentarité, isolement, sélection génétique aberrante, procréation médicalement assistée, alimentation inadaptée et dévitalisée, surmenage, manipulations douloureuses, sont malheureusement toujours le lot de la majorité des équidés « domestiques », soumis à des humains ignorants de l’éthologie et de la physiologie, et de ce fait maltraitants, inconsciemment pervers dans leurs attitudes infantiles de consommation de la vitalité animale. Les maladies des animaux domestiques témoignent douloureusement de ces attitudes et comportements irresponsables.

Mais cette relation se transforme progressivement, vers plus de conscience et de responsabilité, et de nombreux signes témoignent de cette évolution.

Citons l’engouement croissant pour les thérapies alternatives, dont le point commun est le respect du vivant, la considération pour l’individu, ses relations et ses rythmes; engouement aussi pour la pratique d’un « néochamanisme » en quête de nouveaux ponts entre les règnes et vers d’autres réalités plus subtiles, mais malheureusement sujet à de multiples dérives et abus de pouvoir (c’est pourquoi je préfère parler d’écothérapie : prendre soin des relations à tous les niveaux d’organisation du vivant); découverte d’une science attachante, l’éthologie (observation des comportements spontanés instinctifs d’une espèce dans son environnement naturel), et son utilisation pour dialoguer plus respectueusement avec l’animal domestique dans les milieux et situations artificiels créés par l’homme; pratique également très en vogue d’une « communication animale » sollicitant des modes non conventionnels comme l’intuition, la visualisation et/ou la télépathie; la suppression des fers aux pieds (symbole d’abolition de l’esclavage) et la pratique du parage naturel ou parage physiologique; suppression du mors et autres enrênements coercitifs pour favoriser une équitation plus symbiotique et réellement chevaleresque où présence et intention juste sont les qualités requises; utilisation de selles sans arçon pour préserver le dos du cheval, etc.

Changer la relation : un nouveau paradigme

Au-delà, par intégration progressive de tous les aspects évoqués ci-dessus, le cheval est de plus en plus sollicité pour des activités où son athlétisme, sa force physique, son rôle de monture deviennent secondaires, puis disparaissent purement et simplement au profit de propositions où l’humain est « à côté » et non plus « dessus » l’animal. Avec le cheval avant d’être « à cheval ». Dans cette relation nouvelle c’est l’animal qui peur devenir maître du jeu, l’initiateur et le guide d’un travail accompli avec une bouleversante bienveillance.

Nous pouvons regrouper ces propositions nouvelles sous le terme de « thérapie assistée par les chevaux », mais plus justement, pour reprendre mon néologisme, je préfère dire : écothérapie accompagnée par un animal guide.

Je voudrais évoquer plus précisément ces nouvelles pratiques car elles sont directement liées à notre évolution individuelle et collective, aux transformations profondes auxquelles sont appelées les sociétés humaines déroutées par l’inefficacité et la dangerosité des modèles politiques et économiques actuels.

Ces activités participent à un vaste ensemble, très éclectique, que l’on nomme communément et assez confusément « développement personnel », et dont le point commun serait une quête de sens et d’identité par l’adoption d’attitudes plus responsables, plus intégrées et connectées à « l’autre » et au « tout » (la nature, la biosphère, la planète, avec leurs réserves épuisables, leurs équilibres délicats…), une recherche sincère de vérité et d’authenticité qui est le nouveau visage de la spiritualité au-delà de l’épuisement des religions traditionnelles.

Dans ce contexte émergeant, l’animal est bien sûr omniprésent, mais avec des fonctions elles aussi nouvelles, originales, parfois incongrues.

Etonnant renversement des valeurs, l’ancien maître se transforme humblement en disciple, et sollicite l’aide de l’animal pour être recentré, éduqué, guidé, découvrir « le pouvoir du moment présent » (Eckart Tolle), se relier à la profondeur de l’originel pour retrouver l’élan vital, la présence à soi, l’authenticité du vécu, l’innocence de l’instinct, ouvrir enfin de nouvelles voies d’accès au devenir, ce qui peut se dire en un seul mot : guérir.

L’animal guérisseur et initiateur

Pour en témoigner, j’évoquerai en premier lieu ce que j’ai nommé « psychosomatique croisée », une lecture du vivant qui devient l’un des axes essentiels de ma pratique d’écothérapeute appelé, non plus à « soigner des maladies », mais à harmoniser en premier lieu des relations afin de restaurer l’équilibre des individus engagés dans la co-évolution.

La « psychosomatique croisée » décrit toute situation où les troubles du comportement et/ou les « maladies » somatiques de l’animal sont en relation directe, signifiante, avec le mal-être d’un humain proche de cet animal. Une telle empathie implique bien entendu une grande complicité, une relation profondément affective induisant des échanges spontanés d’énergie psychique, des phénomènes complexes de résonance entre champs émotionnels que l’on peut nommer tour à tour ou simultanément, selon les affinités sémantiques : symbolisation, identification, transfert, projection, synchronicité…

Ce transfert du conflit existentiel de l’un au corps de l’autre n’est pas de nature causale au sens classique, mais découle d’un lien symbolique et symbiotique (un lien amoureux), non mesurable avec les instruments classiques des sciences dites « exactes ».

L’animal accompagnant agirait donc, tour à tour ou simultanément, comme témoin, médiateur, révélateur et amplificateur de contenus psychiques demeurés jusque là inconscients, qu’il exprimerait par des symptômes objectifs visibles, lesquels prennent dès lors valeur de symboles qui conduisent l’ombre de l’inconscience (le non-dit) vers la lumière de la conscience et donc la personne vers une guérison possible. Nous retrouvons le modèle archétypique de l’animal guide et guérisseur, qui parle (le langage symbolique) dans les contes de fées et conduit sûrement son « maître » vers le bonheur et la prospérité.

Bien évidemment, une telle lecture fine du langage somatique implique en premier lieu de connaître et respecter l’éthologie et la physiologie des animaux accompagnants, afin d’éviter des troubles liés à des erreurs grossières dans le mode de vie et l’alimentation. Ensuite, cela implique d’admettre que la maladie a un sens, signification et direction, et qu’elle indique un égarement existentiel, une errance à laquelle nous pouvons remédier en changeant d’attitude.

L’animal permet ainsi une prise de conscience, et sa guérison dépend étroitement de notre capacité à percevoir le message et à modifier nos comportements en conséquence, ce qui signifie assumer notre vécu et prendre nos responsabilités en ce qui concerne notre bien-être!

Soigner la relation : l’écothérapie holistique

En second lieu, quelques précisions sur l’écothérapie, qui inclut toutes les situations où l’animal participe au bien-être et au bien-devenir humain, étant entendu qu’il s’agit ici de thérapie globale, évolutive, incluant l’environnement, tous les êtres vivants, et tous les aspects de chaque être impliqué, corps, âme (psyché) et esprit (pneuma). La psychosomatique croisée fait partie de ce vaste ensemble d’écothérapie holistique.

La thérapie assistée par les chevaux, depuis longtemps utilisée pour certains handicapés psychomoteurs, consiste à mettre ensemble humains et animaux, en créant un certain contexte, une ambiance, en favorisant certaines situations, des rituels durant lesquels cette simple présence dans un environnement le plus proche possible du naturel, par le biais de l’observation, de l’approche, de la rencontre, des contacts sensoriels, va favoriser l’émergence et l’expression de paroles, d’émotions et de gestes jusque-là bloqués, blocages à l’origine d’échecs, de mal-être, de dépression, de maladies, et donc ouvrir un passage, provoquer une véritable rénovation existentielle, une initiation au devenir, une guérison authentique.

Par le biais du rituel de la rencontre et de l’initiation à une nouvelle présence au monde, guérir signifie alors sortir d’une stagnation, bouger, aller au-delà d’un blocage existentiel, poursuivre ce que Carl Gustav Jung nommait « processus d’individuation », et qui est notre participation individuelle à l’évolution universelle.

Chacun peut devenir écothérapeute, préserver et respecter son intériorité comme son extériorité, cultiver l’intimité comme l’infinité, entrer en relation avec les autres règnes, adapter sa pratique à ces tendances nouvelles où les engouements superficiels, les effets de « mode », recouvrent en fait une très profonde aspiration de l’humain pour une conscience plus vaste.

J’ai l’intime conviction que les animaux accompagnants sont d’ores et déjà disponibles et prêts à assumer ces nouvelles fonctions à l’évidence plus subtiles, mais tout aussi exigeantes que le simple fait de servir interminablement de nourriture, de véhicule, ou d’exutoire à toutes nos souffrances émotionnelles.

Mes activités m’ont ainsi amené à intégrer les différents acquis d’un chemin de vie, la médecine vétérinaire (thérapies alternatives), la psychothérapie, l’étude du symbolisme, la pratique de la danse, pour concevoir des outils évolutifs propres à ouvrir des chemins, construire des passerelles, créer des passages, et ce faisant participer à une guérison qui pour moi est synonyme de devenir, accueillir un nouveau paradigme.

Eric Ancelet